Histoire des faïences de Sinceny

 

C’est en 1737 qu’est créée la Manufacture Royale du château de Sinceny par Jean-Baptiste FAYARD, seigneur du village et ancien gouverneur de Chauny.

La direction de la fabrique est alors confiée jusqu’en 1742 à Pierre PELLEVÉ, originaire de Rouen, qui fait venir de sa ville natale une équipe de peintres habiles et de potiers. Il sera remplacé, de 1743 à 1781, par Léopold MALRIAT – lorrain de formation rouennaise - qui assura le succès de Sinceny par une variété, une fantaisie et une recherche qui en font encore le charme.

La faïencerie connait la renommée entre 1737 et 1775 pour ses productions de grand feu décorées par les meilleurs peintres venus de Rouen, tels Pierre Chapelle ou Claude Borne, dont les figures historiées sont alors très prisées.

Après plusieurs faillites et reprises, la dernière manufacture, celle d'Autreville ferme définitivement en 1886.

Longtemps considérées comme des copies de faïences rouennaises, les faïences de Sinceny sont bien souvent originales par leur composition, leur éclat et leurs décors. Elles ont acquis leurs lettres de noblesse depuis quelques décennies, et font parties des plus belles collections françaises privées comme des musées les plus prestigieux.

Fayard choisit pour emplacement de sa future faïencerie des communs jouxtant le château à l’est…emplacements actuels de la mairie de Sinceny, de sa place et de la ferme… L’ancienne manufacture royale ferme définitivement ses portes en 1866 et ses derniers vestiges disparaissent pendant la guerre de 1914-1918

Extrait d'un ouvrage de Mme Chantal Soudée Lacombe

Première période Rouannaise (1734-1775)

SINCENY, CAPITALE AXONAISE DE LA FAÏENCE

Sinceny est un gros village admirablement situé sur une colline qui domine la vallée de l’Oise, à une petite lieue de Chauny.

L’industrie céramique y fut importante jusqu’à la fin du 19ème siècle, le Docteur Warmont nous rappelant dans un écrit de 1864 qu’il existait encore, à cette époque, 3 manufactures de faïence, ainsi qu’une fabrique de porcelaine.

Les produits de cette industrie, très répandus dans la région et les régions voisines, ont été longtemps laissés dans l’oubli en raison de l’analogie qu’ils présentent avec les produits d’usines plus célèbres, car l’usine de Sinceny a imité, comme tant d’autres à ses débuts, la faïence très prisée de Rouen.

Les argiles plastiques de Sinceny, abondantes, ont dû donner très tôt l’idée d’y établir des fabriques de poterie. Il est vraisemblable que les Romains, installés dans la région, les utilisaient déjà.

 

JEAN-BAPTISTE FAYARD INSTALLE LA MANUFACTURE ROYALE DE SINCENY

Des argiles propres à la fabrication de la faïence furent découvertes en 1733, sur les terres de Jean-Baptiste de Fayard, Gouverneur de Chauny et châtelain de Sinceny. C’est ainsi que fut établie, en 1737(2), la première manufacture de faïence de Sinceny.

Il semble pourtant que les premiers essais de fabrication datent de 1734 ; en témoigne une assiette portant l’inscription suivante : Mathieu Deurlon dy brin Damour 1734.  Cette assiette n’est pas signée, mais une autre faïence, similaire à celle-ci, porte au revers un .S. en bleu entre deux points. Le Dr Warmont, qui a vu ces assiettes, écrit : « Tout cela est bien dessiné, de bon goût et très supérieur, comme style, au Rouen de 1737 ».

 

LES ROUENNAIS À SINCENY

M. de Fayard fit venir des ouvriers, des dessinateurs et des peintres, établit les fourneaux et les laboratoires nécessaires pour mouler et tourner toute sorte de vases. Un témoignage nous apprend que « trente familles étaient venues de Rouen s’établir à Sinceny ».

Si le décor des premières faïences étaient en camaïeu bleu, on en vint rapidement au décor à lambrequins, dans lequel le dessin bleu est rehaussé d’un trait le plus souvent rouge, mais aussi à l’occasion de vert et de jaune.

Une poudrière à sucre (voir photo) trouvée dans le lieu même où elle a été fabriquée est un exemple typique des décors de la période rouennaise.

Viennent ensuite des sujets empruntés à la céramique chinoise, éternelle et inépuisable source d’inspiration. Ce sont des paysages à fabriques avec personnages, des promenades en barque sur des eaux où croissent des plantes aquatiques, des courses sur des montures étranges.

Ce genre sino-rouennais a fourni quelques pièces remarquables où les personnages et les paysages sont d’une délicatesse remarquable.

 

L’UTILISATION DU PONCIF

Il est permis de supposer qu’elles ont été réalisées à partir du procédé du poncif(3) car l’on retrouve parfois le même paysage sur les quatre faces de jardinières, ce qui démontre l’utilisation de cette technique dès les premiers temps.

Les perruches et les papillons, une fois à la mode, se retrouvent sous les pinceaux des peintres de Sinceny, de même que les branches et guirlandes de fleurs.

Souvent, des scènes de la vie familière sont reproduites sur des brocs, ou objets usuels ou décoratifs. Les brocs (à cidre) étaient le plus souvent des pièces de parade pour circonstances exceptionnelles.

 

LA MARQUE DE FABRIQUE

Certaines pièces portent au revers la marque de fabrique, le .S. en bleu entre deux points. Un encrier, portant la marque singulière «Sincheny  », rare signature, est sûrement antérieur à 1745, car c’est l’année où cette orthographe disparaît des actes officiels.

La faïence de Sinceny, réputée pour sa résistance au feu, est pourtant sujette à l’écaillage, en raison, sans doute, de la qualité des argiles de la localité.

Dans les fabrications remarquables de cette époque, citons des brocs à cidre gigantesques, des pots à boire à forme humaine appelésbacchus , représentant un homme assis sur un tonneau, coiffé d’un tricorne, tenant de la main droite une bouteille, de la gauche un verre ; ses traits, épanouis par l’ivresse, expriment la béatitude. Autre ustensile moins connu, un chauffe-mains à eau en forme de livre orné de guirlandes de fleurs.

 

(1  Docteur A. WARMONT, membre du Comité Archéologique de Noyon

(2)Une pétition adressée au Comité révolutionnaire par J.M.L. Fayard précise : "Depuis 1737, il est propriétaire par succession d'une manufacture de fayence, ...", ce qui accrédite la création de la fabrique en 1737 plutôt q'en 1735 comme l'écrit le Dr Walmont.

(3) Poncif : modèle piqué dont on se sert avec de la ponce ou poncette pour marquer des dessins sur la faïence

 

Deuxième période  de  PETIT FEU 1775 - 1789

Afin d’imiter la faïence à la mode dite du japon , ou faïence à réverbère, la manufacture de Sinceny a travaillé sur des pâtes plus fines dès 1775.

L’introduction de ce nouveau genre de fabrication fit sensation. Les Rouennais furent remplacés par des ouvriers lorrains plus au fait de ces techniques.

Les faïences de cette époque sont plus gracieuses. Les décors sont recherchés et les couleurs sont plus éclatantes. Quelques rares pièces portent au revers les lettres .s.c.ÿ. tracées en noir. Une corbeille, décorée en camaïeu bleu, porte la signature suivante : L.J.L.C. pinxit. 1776. Il pourrait s’agir du peintre Joseph Le Cerf (il s'agit en fait du peintre Louis Joseph Le Comte, sur une faïence de grand feu : correction de Mme Soudée-Lacombe).

Le reproche général qu’on peut faire de cette période est de présenter peu de variété dans les dessins et les tons. Des pièces font pourtant exception telles encriers, assiettes, soupières et plaques, qui peuvent porter des monogrammes (IHS)  ou inscription (Lamotte. 1778 ). Ces faïences sont souvent attribuées au peintre BERTRAND qui les décorât délicatement en les signant parfois d’un « B.T. ».

Il est bon de préciser que l’on continuait à faire du grand feu pendant ce temps, et quelques statuettes, coupes et burettes remarquables ornaient la chapelle de la confrérie des faïenciers, en l’église de Sinceny. Ces pièces auraient été modelées par un certain RICHARD dont nous ne possédons pas plus de renseignements.

Troisème période décadence des Faïenceries d'Art 1789 - 1864

La concurrence de la porcelaine et de la faïence fine marque la fin de la période créative qui vit Sinceny s’imposer chez les marchands de poterie.

La faïence au feu de réverbère ou petit feu(4), trop coûteuse, est attaquée par le « grès anglais », nouveau procédé de fabrication venu d’Angleterre que les manufactures de Douai maîtrisent les premiers.

Cette concurrence oblige alors Sinceny à se borner à la fabrication de faïence blanche, sans décor. Néanmoins, quelques pièces faites sur commande sont encore égayées de dessins, mais le style disparaît. Un plat à barbe, avec l’inscription -- Desbanc, garde à Coucy — et portant la date 1785, est pourtant de bonne facture.

 

LA DÉCADENCE

Les symptômes de décadence touchent toutes les manufactures françaises, et l’art est remplacé par la lettre écrite, les faïences devenant journaux ou pamphlets. Même si Sinceny est moins bavard que Nevers, on voit sur sa production les fastidieuses devises : Verse à boire à tes amis , ou encore : Ma femme, remplis le pot, ou je le casse, ainsi que d’autres dictons populaires.

Peu d’assiettes portent des emblèmes révolutionnaires car, rappelons-le, le propriétaire de la manufacture était noble, ce qui lui valut d’être arrêté pendant la terreur. Il ne fut tiré d’affaires que par le soutien des habitants de Sinceny.

Cette époque voit la fabrique produire quelques pièces dont les décors s’inspirent des allégories très à la mode pendant le Consulat. Ces décors fins de camaïeu bleu représentent des flambeaux, des balances de Thémis, et autres symboles prisés alors.

 

LA FIN ANNONCÉE DE LA FABRIQUE

Le déclin des faïences de Sinceny est inexorablement entamé, et la manufacture sera vendue par adjudication judiciaire le dimanche 3 juillet 1864. L’affiche de la vente rappelait : C’est de sa fabrication que proviennent les anciennes faïences de Sinceny, aujourd’hui très recherchées par les vrais amateurs.  

Après quelques tentatives de relance de la fabrique, celle-ci est définitivement fermée en 1866, soit après 130 ans d’une production inégale, dont les plus belles pièces sont aujourd’hui conservées dans les châteaux et musées de France, mais également chez des collectionneurs avertis.

(4) Four de réverbère (ou four de moufle) : petit four à double chambre dans lequel la cuisson se fait à 600/700°.

 


Les  manufactures proches de Sinceny


 

CHAUNY (….1774-1779)

    Après l’essai (interdit) d’un blanchisseur de toiles de Chauny en 1736-1738, un autre blanchisseur crée une faïencerie vers 1774 à la Buerie dite d’Ognes, à Chauny. Il prend directeur et ouvriers essentiellement à Sinceny. Un incendie et une faillite ramènent les ouvriers au bercail en 1780. Le directeur et peintre, Pierre BERTRAND, s’exile un temps. Les produits devaient donc être très voisins.

 

SINCENY – Atelier NOVAT/ Fabrique MOULIN (1786-1870…)

   Félix NOVAT (+1805), Suisse et poêlier, tourneur à la Manufacture royale, reprend son indépendance en 1786, prévoyant la déconfiture de Louis Chambon. Il s’installe marchand potier et poêlier en bas de la rue principale. Son neveu par alliance, Auguste MOULIN, tourneur, transfère l’atelier chez lui dans la Grande Rue, en produisant poterie et faïence. Son fils, Victor Alexandre MOULIN continue. Son petit-fils Emile ajoute la fabrication de la porcelaine en 1859, pendant quelques années, entraînant sa famille dans la ruine. Il revient à la poterie en 1870, et meurt chimiste.

 

AMIGNY-ROUY – Manufacture de ROUY (1790-1843)

    La faillite de Louis Chambon en 1790 permet au seigneur de Rouy d’ouvrir une manufacture avec les meilleurs ouvriers de Sinceny, alors au chômage. La première production est de belle venue. Mais la Révolution, pendant laquelle M. de Flavigny est guillotiné, anéantit les espoirs. Un sieur Joseph BERTIN la loue avant 1800, son fils Théodore BERTIN la développe pendant l’Empire. En 1843, les fabricants de Sinceny rachètent cette fabrique déclinante et la ferment, en reprenant les ouvriers.

 

SINCENY / AUTREVILLE – Manufacture du BOSQUET-lès-SINCENY (1825-1887).

   André François LECOMTE s’y installe en 1824, construisant une grande manufacture moderne avec quatre fours, sur la route de Soissons à Chauny. Il s’associe à son gendre DANTIER en 1835. A la faveur d’une politique commerciale ambitieuse, ils concurrencent sérieusement celle du château. Après la mort du créateur, elle est vendue aux sieurs RAISIN et RÖHR en 1872. Ce dernier la reprend seul en 1875 et fait faillite en 1882. Un ultime acquéreur, François FOURMAINTRAUX-COURQUIN, de Desvres, maintient l’activité jusqu’en 1887, fermant alors définitivement le dernier atelier local.

 

SINCENY – Atelier MANDOIS (1851-1865)

    Placé en dernier à cause de sa date de création, ce petit atelier familial de la Grande Rue est fondé par un tourneur, Jean Baptiste MANDOIS, qui y travaille avec son fils. Il est fermé à peu près en même temps que les manufactures de faïence du château et Moulin.